L’enseignement supérieur s’incarne dans
un système de disciplines qui s’impose à la
fois comme une organisation naturelle des
connaissances et comme un mode de répartition
du travail entre communautés de chercheurs
et d’enseignants l. En divisant le savoir
en branches et en organisant les espaces
institutionnels, les disciplines composent
un ancrage identitaire fort et dépassent la
simple matière scolaire fondée sur une mise
en scène des connaissances programmatiques
à enseigner (Reverdy, 2015) l.
Ce système de disciplines, concurrencé par
d’autres impératifs, semble depuis une vingtaine
d’années perdre en légitimité tandis
que l’autonomie des universitaires apparait
elle aussi menacée (Trowler et al., 2012).
Paradoxalement considérés comme allant
de soi dès lors qu’il s’agit d’organiser l’espace
académique, les cadres disciplinaires
se trouvent aujourd’hui fragilisés à la fois
par l’essor de nouvelles formes de management,
par le développement de la recherche
sur projet et par l’obligation de faire réussir
les étudiants. Du fait d’exigences accrues de
la part des gouvernances, le travail acadé-
mique est plus imbriqué dans les logiques
gestionnaires institutionnelles, les activités
des enseignants-chercheurs se diversifient
et les carrières se différencient, renouvelant
les questionnements relatifs aux articulations
entre recherche et enseignement (Endrizzi,
2017). Sur fond de démarche qualité, les
injonctions multiples à l’interdisciplinarité des
recherches et à l’utilité des formations questionnent
l’organisation des universités tout
autant que les modes de production et de lé-
gitimation des savoirs et que la fabrique des
curriculums : la recherche n’aurait de sens
qu’appliquée et l’enseignement devrait être
professionnalisant.
Dans ce contexte, faut-il remettre en question
ce système des disciplines, fondé sur un modèle
d’université plus détaché des questions
sociétales ? L’innovation scientifique et la centration
pédagogique sur les étudiants ont-ils
ou auront-ils raison de l’ordre disciplinaire ?
Le déclin annoncé, voire dénoncé, des disciplines (de certaines disciplines, moins perméables
traditionnellement à la demande
sociale) est-il avéré au point que l’on s’interroge
sur une possible transition vers un
âge post-disciplinaire (Gorga & Leresche,
2015 ; Heilbron & Gingras, 2015) ?
Après une première partie qui rend compte
de ce qui définit intrinsèquement et extrinsèquement
une discipline et explore ce qui
l’affaiblit et la déstabilise aujourd’hui, cette
revue de littérature, basée sur une littérature
récente, essentiellement française,
propose une analyse à la fois historique et
sociologique des logiques disciplinaires.
La deuxième partie examine ainsi les disciplines
à la fois comme mode de différenciation
et de spécialisation des savoirs et
comme structure organisant l’espace institutionnel
; la manière dont les disciplines,
résilientes, s’adaptent aux évolutions des
milieux académiques et se reconfigurent
sous l’influence des évolutions socié-
tales, est questionnée. La troisième partie
aborde l’interdisciplinarité en recherche, à
la fois d’un point de vue théorique et au
travers des pratiques scientifiques observables,
et s’interroge sur l’avénement d’un
nouveau paradigme aux frontières disciplinaires
plus plastiques, avec l’essor massif
des studies dans les pays anglo-saxons